Quelques témoignages
par Anne Poiré
En ce premier week-end dit de déconfinement et de levée partielle des restrictions, je vois passer des photographies de centres-villes bondés, comme la rue Serpenoise, ce 16 mai, à Metz, des marchés « presque normaux », baignés d’une cohue festive, entre méfiance dit-on, et « shopping plaisir », les rues reprenant vie, chargées d’une foule active, pas tellement masquée, sans respect réel des distances.
Personnellement, je suis restée bien sérieusement dans mon jardin. J’ai bien compris que notre pays - comme les autres - est passé à cette étape uniquement parce que, économiquement, la situation ne peut durer, et qu’il y a à nouveau des places dans les services de réanimation : ne soyons pas égoïstes, je préfère laisser ces lits à d’autres...
J’en profite pour téléphoner, encore, à des amis. Et les échos me font froid dans le dos. B. me raconte cette « histoire triste ». Je lui parlais de ma maman : « Pour l’instant, ouf, ils ne la prendront pas en maison de retraite ! » « Pas sûr ! » « Comment, que veux-tu dire ? » « C’est possible... » Cette quinquagénaire habite le Grand Est, la même commune que ma maman. Une dame qu’elle connaît est entrée ce lundi – suite à des circonstances particulières que je ne détaillerai pas ici - en EHPAD.
Elle est morte mercredi.
« La même semaine ? »
« Oui. »
« Covid ? »
« Oui. »
« Mais elle ne l’a pas attrapé là-bas ! »
N’auraient-ils pas pu lui faire subir des tests, avant de l’admettre ? En la laissant intégrer ce lieu, ils ont mis en péril tous les autres pensionnaires, et le personnel.
« C’est son petit-fils, qui a dû le lui transmettre : il est malade. On le sait, maintenant. » « Le pauvre ! » « Il semble avoir attrapé le virus par sa propre fille, un bébé d’un an. Elle souffre de la maladie de Kawasaki. » Chronologie toute détraquée.
Tous les enfants, petits-enfants de cette dame, disséminés aux quatre coins de la France, ont bien l’intention de se rendre aux obsèques. Ils vont tous revenir, pour l’événement. On connaît pourtant l’origine de la mort de « la mamie ». On sait que le virus circule activement dans la famille.
Peut-être, tout de même, ne seront-ils pas près de six cents personnes, comme pour le rassemblement qui a eu lieu ces jours-ci dans l’Oise - une région épargnée par la charge virale, comme chacun sait. Oui, ils se sont réunis à plusieurs centaines, pour l’enterrement d’un jeune homme fauché par une crise cardiaque en pleine rue. Covid foudroyant ? Pas sûr qu’il y ait eu une autopsie... En tout cas, à ce jour, en raison des mesures sanitaires, le seuil est pourtant limité, en principe, pour ces moments intimes de séparation, à vingt personnes.
Six cents ! Le gouvernement fait appel au bon sens populaire.
Sagesse, entendement, jugeote, discernement, justesse, équilibre : peut-on vraiment faire confiance aux uns et aux autres ? L’apéritif festif des T. s’est poursuivi aujourd’hui en infinies parties de pétanque, à hauts cris et bières échangées ! Combien étaient-ils, réunis chez eux toute la journée ? Et hier, n’en parlons pas ! Des motos, des voitures, des quads, des piétons sont passés depuis ce matin, en trombe et en série, devant chez nous. Pourtant, nous habitons une campagne reculée, loin de tout.
B. m’a raconté qu’elle a compris la gravité de cette pandémie, notamment parce que M., une amie de 35 ans a été touchée, son mari également et la mère de l’un des deux : cette dernière est morte, après plus d’un mois en réanimation.
Quant à M., grande sportive avant d’être atteinte, elle commence à peine à récupérer, très progressivement, plus d’un mois après, à marcher « comme une femme de 80 ans ». Ses efforts lui paraissent démesurés, pour un résultat toujours très limité.
Je pense à C., enfin, affaiblie depuis plus de huit semaines. Certes, elle n’a pas été hospitalisée, mais chaque fois qu’elle croit aller mieux, dans les jours qui suivent, c’est l’effondrement, elle se retrouve anéantie : « Retour au lit, poumons en feu ». Sans énergie. « Je lutte depuis tellement de semaines que là je suis épuisée. Plus de forces aujourd’hui. »
Tous ces témoignages font frémir.
Comme ce doyen de la faculté de médecine de Strasbourg, évoquant certains services de réanimation italiens qui ont vu – atterrés, impuissants - 100 % des patients hospitalisées chez eux... n’en sortir que morts.
100 %.
(Dimanche 17 mai 2020)