Le monde des soixante-huitards
par Brigitte Beaudin
Déjà plus de deux mois que je vis dans cette petite maison dans laquelle j'ai le loisir de lire et de réfléchir tranquillement, les visites étant très rares.
Dans le livre "Entretiens sur la fin des temps", les quatre contributeurs (NDLR : Jean-Claude Carrière, Umberto Eco, Stephen Jay Gould et Jean Delumeau, éd. Pocket, 1999) analysaient la façon dont les hommes avaient appréhendé les crises et conçu le temps comme linéaire avec un début et une fin ou comme cyclique, comme si tout était un éternel recommencement.
Nous, les enfants de l'après-guerre, nous avons vu nos vies se transformer sans que nous en ayons véritablement conscience.
Mon mari a vécu son enfance ici. Il se rappelle que l'on allait chercher l'eau au puits, qu'il n'y avait qu'un poële à bois pour chauffer le séjour, que l'on ne se nourrissait que des légumes du jardin, des fromages que sa grand-mère fabriquait avec le lait des deux chèvres qu'elle élevait, que la viande était rare et qu'on l'achetait chez les fermiers du village pour les grandes occasions. Alors, le retour aux "circuits courts", la fin de la société de consommation, la frugalité, c'est un retour en arrière et en même temps un but que nos contemporains se fixent pour sortir de la crise et sauver la planète.
Nous sommes des enfants de 68, avons profité des progrès techniques et rêvé d'un monde plus juste et d'un retour à la nature.
Les chanteurs que nous avons aimés nous faisaient prendre conscience que "la montagne est belle", préférable à la vie en HLM et s'inquiétaient de voir apparaître sur les tables des poulets aux hormones.
Ils se sont impliqués dans des associations humanitaires et ont mis leur art au service de causes diverses. J'ai encore le vinyle pour l'Éthiopie, les CD vendus au profit de Sidaction et des Restaus du cœur et des tas de chansons dans la tête.
J'ai aimé le monde des soixante-huitards qui ont ouvert tant de portes sur la liberté et ici, dans une maison confortable, j'ai le loisir de repenser à nos espoirs et de constater qu'ils ne sont pas morts. La vie continue...