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Vivre confinés
12 mai 2020

Partir ou rester ? (1)

 


par Valérie-Anne W.


 


Le COVID 19 n'est pas une simple "grippette", j'en étais convaincue depuis plusieurs semaines et quitte à me ridiculiser aux yeux de certains, je l’ai répété à l’envi, opérant un début de retranchement avant le confinement officiel.

Juste après le vote du 15 mars, à la première heure, nous avons dû partir à la campagne récupérer du matériel beaux-arts dont j’avais absolument besoin pour une exposition.

La campagne c’est sans télé, sans internet, sans radio, un bout du monde à la fin d’une petite route sans issue, au milieu des collines du Perche, où le portable passe très mal.

Prévenus du confinement par une cousine connaissant nos difficultés de communication en ce trou perdu et déconnecté, il ne restait que quelques heures pour décider : partir ou rester ? Ma réponse m’a surprise, j’ai presque crié. Rester. Un mot qui ne fait pas partie de mon vocabulaire, ayant l’habitude de jongler effrontément avec ailleurs et partir grâce auxquels mes rêves prennent forme.

Heureusement, nous avions emmené le chat.

BLOG 4


Malheureusement, nous venions de faire les courses, le réfrigérateur de l’appartement était plein et la lampe halogène demeurée en veille.

Le doute s’insinuait, dans ce coin de Basse-Normandie, je me sentais protégée contre la contamination mais si jamais je tombais malade, je risquais de « crever » là. Dilemme. Le plus proche village est à dix kilomètres et la première petite ville à vingt-cinq.

Les premiers jours, je ne me suis pas aventurée dans le jardin. Aux yeux des habitants du hameau, j’étais forcément cette Parisienne planquée susceptible de leur transmettre le virus, tandis que pour les voisins de ma ville je me faisais l’effet de la lâcheuse profitant du bon air au vert et au calme dans sa résidence secondaire, alors que j’aurais aimé être à leurs côtés. Ma conscience bringuebalait entre la vie des champs et la vie des villes.

 

BLOG 1

 

Je n’ai pas osé sortir le salon de jardin ni les chaises longues. Pour évacuer l’angoisse et laisser à distance les informations anxiogènes, l’escalade quotidienne des chiffres meurtriers, les polémiques diffusées par les journalistes, les déballages fétides sur les réseaux sociaux, je me suis mise à jardiner sans relâche. Si nous étions encore là cet été pour les voir - sous-entendu encore vivants -, nous aurions de magnifiques jardins !

Tondeuses et débroussailleuses faisaient écho aux chants d’oiseaux et aux coassements des grenouilles. Il n’y avait plus d’avions striant le ciel de leurs traînées blanches mais de nuit on entendait des voitures arriver… Le chemin était emprunté par des marcheurs jusqu’alors inconnus au bataillon.

 

BLOG 3

 

Le jardin éclatait de couleurs printanières sous un ciel bleu insolent dans ce moment aussi dramatique... C'était étrange. Une telle énergie de vie dans la nature contribue à espérer, mais que sont toutes ces fleurs et ces bourgeons à côté du cri de mon père, étouffé par un sanglot ? « J’aurais tant aimé vous revoir avant de partir ».

Difficile de se concentrer ou de faire quoi que ce soit. A l’annonce de la première période de confinement, beaucoup ont eu la même idée : ranger les placards ! Certes, on oublie trop souvent d’en faire le tri, c’était l’occasion de voir des objets oubliés réapparaître, d’alléger les contenants, de prendre conscience de ce que l’on possède et de se demander s’il est nécessaire de garder tout cela. Jour après jour, une quantité de choses s’avéraient superficielles.

Le dimanche suivant, avec le grand vent, ma plume s'est envolée, pour retomber sur le papier et laisser trace au seuil de l'heure d'été. Il fait jour le soir une heure de plus et je pense à toutes ces familles bloquées dans des appartements, des journées entières, contraintes de se supporter alors qu’habituellement elles se rencontrent à peine quelques heures par jour.

Internet, grâce à l’intervention d’une amie de la famille, s'est invité dans "ce coin paumé de campagne" après quelques jours d’isolement total et nous relie de nouveau au monde ! Je peux entrer en contact avec mes proches.

Les premières semaines, chaque matin à mon réveil, j’émergeais d’affreux cauchemar où un virus atteignait le monde entier et décimait les humains. Temps de flottement, ce n’est pas un cauchemar c’est juste la vérité. Comment est-ce possible, comment peut-on croire à une telle catastrophe ? Je vérifie mentalement que je ne souffre de rien, que mon corps fonctionne normalement et je me lève abasourdie.

Mes nuits sont peuplées de rêves inaccoutumés avec des thèmes récurrents comme les fenêtres. Je me trouve perpétuellement derrière des fenêtres fermées, interfaces entre le dedans et le dehors, protection mais obstacle. Des mots inconnus surgissent, tout juste ai-je le temps de les noter en ouvrant les yeux le matin avant qu’ils ne s’échappent, signifiant une grande confusion de mes pensées. Je vois des forteresses volantes. Mes deux plus grandes frayeurs se sont conjuguées en rêve : l’invasion des extra-terrestres et la guerre bactériologique.

Curieusement, le temps ne s'arrête pas, les journées filent, me laissant surprise au seuil de la soirée, une de plus, ou une de moins selon sa propension à considérer le verre à moitié vide ou à moitié plein.

Etonnamment, les envies sommeillent, confinées à l'étroit dans mes pensées embrumées, elles ne sont plus qu'un murmure.

Soudain, les ciseaux s'agitent. Je coupe, colle, superpose, intercale, il n'y aura pas de vacances cet été, je l’ai bien compris, alors je fais des albums photos, en revivant les instants d’un passé où tout était si bien et si beau.

Un jour, j’ai craqué, j’ai simulé mes vacances d’août : deux semaines dans le Lubéron, j’ai choisi le gîte sur internet, une borie au cœur des chênes verts avec vue sur les champs de lavande, à deux pas des villages perchés dénommés « plus beaux villages de France », j’ai tracé les itinéraires de randonnées pédestres, listé les visites culturelles et les sites naturels d’une « beauté à couper le souffle ». Pourtant, je savais que je n’irai pas. Tout comme le voyage du 1er au 13 mai en Angleterre de la vallée de la Tamise jusqu’aux Cotswolds n’aurait pas lieu, pas plus que cette escapade dans le sud de l’Italie entre Pouilles et Calabre.


(à suivre)

 

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