Loin de l'ennui
par Marie-Claire H.
Cinquième semaine de confinement, total pour moi sur la ferme recommandation de mon médecin. Je n’ai pas mis un pas sur un trottoir, ni au milieu d’une rue. Pas vu un humain à ma hauteur, toujours en plongée.
J’ai la chance d’avoir un balcon, Je m’installe sur le gazon synthétique avec selon l’heure, café, journal ou livre. J’ai essayé l’ordinateur, il m’a semblé en danger. La chaise de salle à manger que je tire là fait jaillir l’image des vieilles dames surveillant les passants de leur poste de guet, à Rome ou à Buenos Aires. Je vis trop haut pour jouer les pipelettes. J’écoute les moineaux revenus. J’essaye de ne pas m’ennuyer. En fait je ne m’ennuie pas du tout. Chaque soir comme à mon ordinaire, j’écris la liste de ce que je souhaite ou dois faire le lendemain. La liste est toujours trop longue pour être épuisée à la fin de la journée. Il faut dire qu’en plus de la liste il y a les longs moments passés face à la télévision, sur Internet et dans des rêvasseries diverses. Quand même, je dois, il faut que, je me suis fixée, etc. Gymnastique, escalier, allemand, (je m’y suis remise sérieusement, il est temps), peinture, broderie. Broderie et smocks pour robe d’enfant, ce qui m’attire et me détend le plus. C’était bien la peine de se donner tant de mal pour obtenir les mêmes droits et perspectives que les hommes et en arriver à se vautrer dans des travaux d’aiguille !
Je ne m’ennuie pas. Je suis terriblement occupée. Pas beaucoup à écrire, le puits est tari, espérons que c’est momentané. Non je ne m’ennuie pas, seulement la vie semble neutre, neutralisée, encoconnée, arrêtée, enfermée, confinée. C’est bien étrange. Il y a en plus une culpabilité, neutre elle aussi. J’obéis aux ordres, je reste chez moi pour éviter d’aider à la propagation du virus, mais je n’aide personne, je ne fais rien « pour », sauf quelques chèques, c’est neutre aussi.
J’ai largement dépassé l’âge au-delà duquel il ne faut pas se déplacer pour ne pas provoquer des problèmes supplémentaires à la société. Donc je n’ai pas à me sentir coupable. Comme c’est commode. J’ai souvent eu beaucoup de chance aux moments d’agir. Pendant la guerre de 40, j’étais trop jeune pour résister ou au moins m’engager. Ça a été commode. Le choix du côté dans la société était évident, nous faisions partie des maudits, je ne crois pas que j’aurais basculé en face de toute façon, mais c’était commode quand même. Pour tant de facilités la facture à payer n’est pas lourde jusque-là. Ne rouspétons pas, restons confinée, pour combien de semaines encore ?