Los Confinos
par Jean-François Dupont
Quand le confinement a débuté, je venais de rentrer d’un lointain voyage d’où j’avais ramené une maladie des yeux aussi aiguë que coriace. À me rendre presque aveugle et surtout inerte. Je venais de terminer depuis quelques mois un manuscrit et j’avais achevé le transfert de mon bureau au premier étage de ma maison. Je n’avais finalement pas grand-chose à faire, si ce n’est - la vue me revenant - lire, regarder des films et des séries, entretenir mon jardin. J’ai bien tenté de tenir un journal, mais ça ne prenait pas. Pour paraphraser Pierrot le Fou, j’aurais voulu exprimer des sentiments et je n’écrivais que des mots. De mon nouveau bureau mirador, j’observais passer les gens sur l’avenue. Tous ces gens que, pour la plupart, je ne connaissais pas et qui pourtant vivaient autour de moi. Désormais, ce n’étaient plus seulement des silhouettes. J’imaginais des rencontres, des histoires, des détails. La vie des gens. Mais souvent les rues étaient désertes et le silence avait l’épaisseur d’une matière. Aucune trace d’avion dans le ciel. J’usais alors de mes « Attestations » pour parcourir ma ville jusque dans ses recoins. Je me suis aussi aventuré à ses frontières, un peu comme un captif qui tenterait de s’en échapper. Dans cette arrière-boutique du Temps qui ne passait plus, je n’ai cessé de prendre des photos. Parfois, j’étais saisi par cette désolation. Finalement, il en fallait peu pour que le monde se détraque. J’ai songé à Tchernobyl où je m’étais rendu l’été précédent. Par endroits, il ne manquait plus que la végétation mange lentement le bitume et envahisse nos rues. La musique de mon fils m’a permis d’assembler certaines de ces images comme une sorte de puzzle-témoin. Il fallait échapper au bruit du vide. Ce diaporama bricolé, je l’ai appelé : Los Confinos.