Des chiffres et des prénoms
par Nadine P.
Il y a Julieta, Luis Sépulveda, Manu Dibango, des inconnus, des oubliés. Il y a Sylvette pour mémoire, toujours, qui comme ma tantine Cécile, ne sont « pas mortes du Covid19 », précision apportée chaque fois, comme si la peine en est tout à coup différente ou l'éclipse mieux vécue.
Il y a le nombre, les chiffres, décompte martelé et hier, il y a « 18 résidents d'un EHPAD décédés ». Journal local, titre accrocheur à la Une. Par ces temps de disette, il faut vendre et c'est assez facile dans ces jours de trouver les mots pour le faire.
Un quart de l'institut décimé. C'est écrit. Je suis là, bras ballants, quelques achats essentiels que serrent mes mains devant ce morceau d'article qui ne dit pas tout, exprès. Je vois aussitôt défiler les rires, les hésitations, les « Oh pour moi vous savez, c'est si loin ! » qui souvent par pudeur, étaient l'incipit de nos conversations écrites, régulières, avant qu'autour de notre table commune la mémoire accepte de nous offrir une trace, pas à pas, même si les pas comme les écrits de leurs mains leur étaient désormais refusés. La surprise était immense pour elles de pouvoir côtoyer leurs souvenirs à nouveau. Je ne sais pas si les prénoms de mes amies d'écriture figurent dans les personnes parties en solitaires, plus tard, peut-être. Je pleure ces anonymes, qu'importe qui elles sont. J'ai mal aux mots qui n'ont pu aider, aux appels qui ont été repoussés par l'administration empêtrée, aux souvenirs enfouis qui n'ont pas eu le temps de prendre la lumière.
J'ai mal à « nos vieux », en général.
(19 avril 2020)