Sur la place

par Bernard M.

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La place, c’est un peu mon théâtre pendant le confinement.

Quand je suis las de mon écran, je tourne la tête et jette un œil, le plus souvent à travers la vitre, parfois en ouvrant la fenêtre et en stationnant plus longuement, pour suivre des yeux les rares passants, les petites bribes de vie…

La place complètement vide du petit matin, la boulangerie qui ouvre la première, sa vive lumière qui tranche avec la pénombre du jour pas encore tout à fait levé…

Les ouvriers qui travaillent sur le chantier de consolidation des maisons impactées par l’incendie de décembre. C’est le seul chantier apparemment dans toute la ville qui continue, nécessité de sécurité oblige. Avec un effectif modeste, ils sont trois ouvriers seulement. Après avoir installé d’imposants madriers, ils continuent à stabiliser avec des poutres transversales…

Vers neuf heures, voici la camionnette d’Orélie qui tient le magasin bio. Elle débarque les cageots de fruits et légumes qu’elle a été chercher chez les petits producteurs locaux. Cela fait, elle met son masque et accueille son premier client…

Plus tard voici la camionnette du CCAS. L’employé municipal en sort, vêtu de sa combinaison quasi intégrale, la seule personne ainsi protégée que j’ai vue ici. Normal pour porter des paniers-repas à des personnes j’imagine âgées et fragiles…

C’est souvent parce que j’entends du bruit ou des voix sur la place que je me détourne de mon ordinateur pour aller jeter un œil. Qui est-ce ? Que fait-il ? Où va-t-il ? Je me fais l’effet de ces vieux qui glissent un œil subreptice derrière leurs rideaux pour juguler leur ennui et alimenter les cancans futurs, telle la vieille du Clochemerle de Gabriel Chevalier plongeant sur la pissotière municipale.

Ici les voix sont sonores. Je ne perds rien de la conversation d’une dame avec l’employé municipal qui procède au nettoyage de la place. Elle s’enquiert de l’heure d’ouverture du cabinet médical alors que c’est parfaitement indiqué sur la porte. L’homme n’en sait rien mais se lance dans des considérations sur les effets du confinement, la suppression du marché... Interaction sociale bienvenue et à bonne distance. En fait, la dame a peut-être très bien vu l’affichette sur la porte du médecin mais elle a eu plaisir à engager conversation. Du maintien précieux d’un peu de convivialité en temps de confinement !

Un peu plus tard une autre camionnette. C’est un pépiniériste du coin. Voici une première personne qui embarque deux cageots. Il attend encore, son listing et son téléphone portable à la main. Il a dû donner rendez-vous ici à des clients lui ayant passé commande. Et de fait voici une autre dame. Il lui donne quelques conseils sur le traitement de ses plans de tomates et lui indique quand elles devraient être mûres…

Onze heure trente. C’est l’heure de l’affluence – toute relative – à la boulangerie et chez Orélie, deux ou trois personnes attendent devant chacune des deux boutiques. Je suis ravi de voir que cette petite épicerie bio, dont on craignait lorsqu’elle s’est installée il y a un peu plus d’un an qu’elle ne puisse pas tenir, fonctionne bien.

Tout ça ne contribue pas à me permettre d’avancer vite dans ce que j’ai à faire. Et le détournement est d’autant plus sensible quand je me bagarre avec des choses laborieuses. C’était particulièrement le cas hier où je bataillais pour finir mon article sur Morin pour la prochaine Faute à Rousseau, la complexité c’est compliqué ! Mais il est fini, expédié, ce fichu article, alors ce matin je peux regarder par ma fenêtre sans m’en culpabiliser et poser ici ces mots de tous les jours, plus simples et plus plaisants à écrire.

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(10 avril, 10 heures)