Horizon arrière
par Nadine P.
Une pensée fulgurante s’est imposée à moi ce matin. Peut-être s’est-elle immiscée au moment précis où une légère hésitation de me retourner dans mon lit douillet s’est proposée, ignorant pour un temps, risqué, les appels du réveil et les horaires en enfilade qui allaient suivre.
Dans ce refuge provisoire est apparue l’image du champ de trèfles rouges découvert dans ma campagne bourguignonne il y a quelques jours. Les couleurs, la béatitude de l’instant n’étaient pas en cause même si elles me revenaient agréablement, c’est l’écho du mot « horizon » qui provoqua ce rappel.
Il faut avoir vieilli de quelques heures, quelques minutes au moins pour écrire sur soi. L’autobiographie ne souffre pas de l’avenir, même si elle se nourrit d’espoirs et de projets pour analyser le passé et se permet même quelques détours dans un présent intime, elle croît dans un hier enfoui depuis peu, ou caché pour employer quelques clichés dans des lettres jaunies, des malles empoussiérées ou, plus proches dans le temps, dans une envie de mettre en mots gourds, maladroits ou léchés et fins, des émotions tirées d’une pièce dont le personnage central, sans orgueil déplacé, serait nous-mêmes.
Devant nous, le mystère est encore lourd d’inconnu. L’autobiographie n’est pas concernée. L’avenir, parfois pas plus rassurant que ce que l’on vient de laisser derrière soi, est cependant dans le cas qui m’intéresse, à raconter dès qu’il sera passé derrière, invraisemblance ou paradoxe, élucubrations ou idioties, ce jeu du témoignage d’une vie par les mots, les textes, ne se fera pas sans le truchement d’une horloge biologique actualisée sans cesse. L’horizon en poupe n’existe pas, et pourtant...
Voir, regarder et contempler. Ces mots s’associent facilement à l’écriture de soi, autobiographie éphémère ou régulière, journal et autres écrits personnels. Un toucher de près de petits riens, un chemin intérieur parfois pour un temps curieusement, partagé.
Mais si voir, regarder, contempler peuvent illustrer ces écrits, quand ce matin je les associe distinctement à cet horizon coloré découvert avec un ravissement proche du bonheur pur, ont-ils un point commun autre ? Mes réflexions du matin approximativement philosophiques ne m’ont pas empêchée de me lever.
« L’horizon est plus près ce soir que ce matin », écrit Jules Renard.
Quand j’écris sur mon matin interpellé, je suis déjà dans le récit du passé, dans cette trace laissée sur un pan de vie, de ma vie, l’horizon est pourtant encore bien ancré dans son rôle majeur, et pour cela, il est devant moi. La campagne était belle, rouge et verte à la fois, je savais déjà en la regardant qu’un souvenir me lierait à elle.
Il n’est pas encore minuit, nous ne sommes pas encore le 1er juin. Me vient un merci d’évidence pour les mots en partage. Ceux d’hier, de demain, quelle importance !