Demain est encore loin
par Nadine P.
J'ai pris pour habitude d'écouter les oiseaux.
D'entendre quand on me dit bonjour, d'y répondre, de m'arrêter un peu. Hier Yamina, 83 ans, d'une grande élégance dans sa robe longue rouge, qui revient du marché avec son chariot à roulettes et son masque qui pend au milieu des poireaux, où je devine un liseré de dentelle assorti. Elle semble vouloir papoter quelque peu. Le peu se prolonge, l'heure file, un instant je me dis que je ne trouverai plus d'asperges sur l'étal du marchand. Qu'importe les tâches, les besoins, je privilégie depuis 55 jours (je n'ai pas compté, quelqu’un compte pour nous) les p'tits bonheurs, menus plaisirs, les échanges avec des inconnus et les sourires dans les rues.
Il y a matière !
J'ai pris pour habitude d'écouter les oiseaux.
D'applaudir les chauffeurs de bus, les éboueurs, quand je les croise. Ils lèvent leur pouce et je repars. Demain, sans doute, ce sera ridicule.
Mais demain n'est pas encore mon présent et je garde au chaud tous les mots, les appels, les écrits, les lectures. Pour ce qui est autre, j'aimerais retenir juste quelques astuces, des liens de plaisirs, de spectacles, en attendant mieux. Mais là je m'égare, le futur tente une brèche.
Je souhaite, j'ai failli employer le conditionnel que je vais écarter volontairement ! Je veux (là j'exagère) faire toujours présente cette sérénité, celle qui depuis 8 semaines (je n'ai pas compté, quelqu’un compte pour moi) m'apaise en m'offrant une solitude nouvelle, un silence généralisé, une lenteur perpétuelle m'habillant moi et les gens rencontrés.
J'ai au petit matin attrapé mon appareil photo : un petit dernier dans la ville déserte.
« Vous pouvez revenir un autre dimanche matin, c'est presque pareil », me dit un homme souriant, marchant dans une ruelle. C'est le « presque » qui me chamboule mais je ne luis en dis rien.
Je continue, je fais un long parcours, prenant des clichés pour les garder comme trésors, comme preuves, les lieux où j'aime aller, qui s'éveilleront demain, ceux qui dormiront encore.
J'ai pris pour habitude d'écouter les oiseaux,
du moins jusqu'à ce soir.
Gardons pour habitude d'écouter les oiseaux, les autres et leur bonjour.
Tiens, mes épinards sont cuits. Il n'y avait plus d'asperges, pas grave, c'est bon aussi.
10 mai 2020