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Vivre confinés
9 mai 2020

Epiphanie

 par Bernard M.



C’est le printemps mais un printemps qui prend parfois ces jours-ci des habits d’été.

Les matins il fait doux, mais avec encore un fond de fraîcheur bienvenue. La nature reste printanière, intensité des verts des prairies, variété de nuances de coloris des feuillages, présence multicolore des fleurs...

Mais l’après-midi une vraie chaleur se ressent qui s’est amplifiée ces deux derniers jours. Le bleu du ciel tire sur le blanc, une certaine lourdeur se ressent. Les soirs sont délicieusement agréables et on a pu commencer à dîner dehors sur la terrasse où il fait meilleur que dans la cuisine au rez-de-chaussée, pièce la plus froide de la maison et où nous faisions du feu dans la cheminée il y a encore peu de jours. Au couchant les odeurs florales ressortent, les oiseaux chantent intensément avant que ne se déclenche le ballet des chauves-souris aux imprévisibles trajectoires. C’est la première fois qu’on les voit cette année, animaux fascinants, souvent mal aimés (réservoirs à virus !) mais grands avaleurs de moustiques et d’autres parasites et passionnants du point de vue de la recherche en virologie.

Pour nos rituelles courtes sorties de l’après-midi j’ai adopté le short et la chemisette sans manche. Je me suis mis de la crème sur le nez et j’arbore un chapeau de toile devenu totalement sans forme (tiens, ce sera un de mes premiers achats chez le sympathique chapelier du marché dès que celui-ci aura repris complétement, ce qui ne sera manifestement pas le cas dans les premières semaines du déconfinement). Avec ma chevelure qui a pris une ampleur désordonnée et envahissante je dois avoir une drôle de touche ! Je suis tout « tchoufoulit » selon un terme purement familial qu’employait ma mère.

Mercredi, qui fut la plus belle journée, nos pas nous ont menés, un peu au-delà forcément du kilomètre réglementaire, sur cette petite route très campagnarde sur laquelle on marche en longeant de belles propriétés rurales et en faisant face à la Montagne Noire. Nous avons poussé un peu plus loin, empruntant un chemin latéral jusqu’au pont qui enjambe le Sor, petite rivière descendue de la montagne et dont les eaux rejoignent l’Agout puis le Tarn.

J’ai glissé peu à peu dans un état de légère euphorie, me sentant brièvement dans une totale adhésion à tout ce qui m’entoure, l’air, la lumière, le doux balancement des branches autour de moi, le tournoiement des pollens de peupliers dans le contre-jour doré, l’odeur légèrement miellée d’un éclatant bouquet de genêt, j’étais simplement là, et tout à fait là, sans distance, sans mots, dans une sorte de bienheureuse épiphanie de ma présence au monde.

Bien sûr cela ne dure pas, mais combien ces moments sont précieux. J’ai toujours traqué ces instants. Ils surgissaient le plus souvent au cours de randonnées face à des spectacles naturels, parfois face à certaines œuvres d’art ou encore dans certains moments d’intensité amoureuse. Mais ils se font plus rares à mesure que je vieillis et c’est un bonheur d’avoir pu voir revenir sans préavis un instant comme celui-ci dans ces temps si difficiles.

L’absolu du moment s’efface vite, on revient alors à un ressenti certes encore plaisant, mais plus banal, plus distancié, celui où l’on déclenche l’appareil photo, celui où viennent les mots qui décrivent, celui que je prolonge ici même en les couchant sur le papier. Ce n’est plus pareil mais c’est une façon de retenir ces instants ou, simplement, juste de se souvenir qu’ils ont été…

 

P1010831 (Copier)

 

Aujourd'hui j’ai travaillé au jardin. La saison s’avance et le jardin évolue. L’herbe a bien poussé et un passage de la tondeuse serait bienvenue mais nous voulons profiter encore un peu des marguerites et autres fleurs sauvages qui parsèment la pelouse. Certaines fleurs sont déjà passées et j’ai coupé tout à l’heure les hampes des lilas grillés et ceux des iris qui se sont desséchés. L’oranger du Mexique qui désormais entoure complètement le tronc du cèdre est au contraire en pleine floraison et dégage un parfum merveilleux. Les roses jaunes qui fleurissent la tonnelle ne sont accessibles qu’avec l’échelle et couper celles qui sont fanées est un sacré boulot car il faut sans cesse déplacer l’échelle pour être toujours à main. Je fais ça en gros et de huit jours en huit jours, la tonnelle est loin d’être impeccable mais nous nous en contentons. Je n’ai pas la méticulosité, la régularité et la patience du vrai jardinier. Je repense à mon grand-père qui, pendant le printemps et l’été, descendait tous les matins à l’aube dans son jardin pour arroser avant les chaleurs et qui, chaque jour, coupait tout ce qui était un peu passé. Nous nous affolions à le voir grimper à quatre-vingt-cinq ans sur l’escabeau pour s’occuper de la tonnelle. Et il ne manquait pas aussi de couper à chaque fois, en plus des fleurs passées, une rose à peine éclose qu’il installait sur son bureau, celui-là même où je travaille aujourd'hui, dans un vase soliflore devant une photo de ma grand-mère pendant les six années où il lui a survécu.

J’ai moi aussi ramené quelques fleurs. J’ai jeté le bouquet précédent qui ornait mon bureau et l’ai remplacé par une jolie rose et quelques branches d’oranger du Mexique.

 

P1010836 (Copier)

 

 


 (vendredi 8 mai, 19 heures)

 

 

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Commentaires
P
Comme je vous envie d'habiter la maison de votre grand père !<br /> <br /> Amicales pensées pluvieuses.
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T
Il ne reste plus qu'à chanter ou siffloter le "joie de vivre" de Julos Beaucarne et Melaine Favennec sur une sélection de strophes d'un éblouissant poème d'Emile Verhaeren. <br /> <br /> "Dés le matin par mes grands-routes coutumières qui traversent champs et vergers (...) et je voudrais par mes poumons boire l'espace entier pour en gonfler ma force" .<br /> <br /> Pour l'amoureux de la marche, quel "pied" !
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