Bilan de tout et de rien

par Marie-Françoise Després-Lemarchand

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Sur l’air de : « dis qu’as-tu fait, toi que voilà, d’ton confinement ? » !

Il y eut… ou pas… bilan de tout et rien, bilan de rien du tout, sans grand œuvre et sans absolu, s’imposant peut-être en ces jours où se dessine (flou encore) la fin de ce « confinement », mot quasi inconnu il y a deux mois et sur toutes les lèvres désormais si tant est que nous puissions voir les lèvres encore ! 

En ce lundi de » J- 7 » soleil revenu après une semaine de presque automne, feuille posée sur la table de jardin (j’ai bien fait, affrontant le supermarché aux masques approximatifs, de réapprovisionner les oiseaux en graines de tournesol ; de guillerets pépiements saluent n’est-ce pas ?!)

Bon – y aura t-il une très étrange et paradoxale « nostalgie » ?

On dira : « tu te souviens du printemps 2020 ? »

où les métaphores allèrent bon train (traversée du désert, drôle de guerre) et les néologismes moches (« distanciation » !!) quand pourtant ne fûmes jamais aussi proches les uns des autres, échangeant mails, SMS, téléphones, vidéos loufoques, mots de tendresse et d’inquiétude, poèmes, prières, images de Pâques et premier mai…

Au rythme monacal de ces jours silencieux (de moins en moins il est vrai au fil de ces derniers jours où le bruit des voitures à nouveau égratigne…), ponctués de gestes simples, à l’ordre imperturbable (gym, petit déj’, toilette, courses, lecture, jardin …)

Et non dépourvus d’acédie parfois

Quand il paraît improbable de retrouver la légèreté de passages impromptus,

Quand le bord de mer devient absurdement inaccessible,

Quand une escapade à Genêts ou au gué de l’Epine prend des allures d’Eldorado,

Quand le cœur se serre en ce printemps joli où il aurait été si doux d’accueillir Lilie, tout juste réchappée d’une année de chimio, et de partager avec elle rires, souvenirs, dînettes paisibles, folies ébouriffées, DVD à gogo… On se dit qu’il y aura une « prochaine fois » sans que cette prochaine fois soit sûre, sans très bien savoir qui le loup croquera…

Sur la petite photo posée sur le buffet, P et M souriants, détendus, tout pleins de la douceur de leurs dernières vacances, vous accompagnent à Avranches comme à Londres, dans la certitude alors qu’enfants et petits-enfants vivront une vie paisible, que leur seront épargnées guerres, souffrances qu’eux-mêmes plus jeunes connurent… (leur confier Lilie, vous tous, l’air de rien, en passant, dans un souffle, un baiser du bout de doigts, sans s’appesantir, comme pour ne pas ternir cette image de confiance et de joie…)

« Nous sommes en guerre »… » martelé lors d’un discours « inaugural », à l’excès peut-être mais…

On dit : « avant… après… »

Deux mois à déconstruire pas mal, à voiler les visages et à fermer boutique, à slalomer sur les trottoirs comme si on y croisait l’ennemi, à réinventer chaque jour identique, à prier à la sauvette dans une église vide, à décider de la balade (le sentier dans les bois ? le tour des Mares baie bucolique ? la vieille ville et ses remparts sur la mer tout au loin rêvée?) - heure entamée, billet froissé -, à arracher pissenlits et « mauvaises herbes », à s’ébahir de revoir sinuer les pavés !, à remettre chaque jour la maison en ordre (poussière, balai, lit au carré mais aussi étoffes et bouquets !), à appeler l’une ou l’autre et entendre la voix monocorde, affaiblie : «  c’est triste… c’est long… », à promettre une visite incertaine, à enfiler un pyjama duveteux dès 19 h même si désormais le crépuscule tarde (le besoin d’enveloppement croîtrait-il avec le confinement ?!), à se dire qu’on aurait pu un peu mieux remplir ce jour, le rendre plus savoureux, plus dense, plus riche (avec tout ce temps) ! mais demain… demain…

J’aurai rouvert « les cahiers » de Valéry, happé quelques passages, Marc-Aurèle et Pascal idem !!! pas glorieux, rien de suivi : confinement-furètement ! Les heures profuses s’effilochent, pétales fanés entre les doigts

J-7 : ce qu’on a fait ou pas ;

Passée déjà la joie pimpante des arbres roses, l’éclosion solaire du cytise, la tendre rondeur des camélias.

Le vent fraîchit ; un copain merle vient en visite, le journal paroissial demande des articles.

Peut-être faudrait-il un deuxième confinement pour accomplir tout ce qu’on n’accomplit pas ?!

Vie de sexagénaire en un mouchoir de poche. La nuit, les morts reviennent (P et M parfois proches et parfois douloureusement inaccessibles, et l’un ou l’autre mystérieusement surgis des amours d’autrefois, et des malades aussi revenant hanter les rêves, qu’il faut installer, soigner, leurs bagages sont perdus, il y a toujours des problèmes de planning, l’angoisse de « soirs à faire »…)

J- 6 et demi. Bientôt, nous pourrons mettre nos bons de sortie à la poubelle, aller à Granville et à Saint-Jean le Thomas, et rendre visite aux morts du Theil et…

Bientôt, MH viendra nous voir « au jardin seulement et avec un masque », bientôt nous pourrons héler N qui n’ouvrira pas sa porte d’ci la découverte du vaccin et nous fera signe de son balcon puisque nous sommes subrepticement sûrement entrés dans l’ère magique où un baiser virtuel en vaut deux ! Bientôt ?...

En attendant, il est déjà 18 heures et si je traîne ce billet sera caduc et il reste juste le temps d’attraper une écharpe et de faire la balade rituelle cap à l’Ouest… « Sais-tu si nous sommes encore loin de la mer ? »… des bribes de poèmes dans les poches  « Le mai le joli mai… »

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(4 mai 2020)

Comments

[The Pedestrian]

Quelle belle écriture vous nous offrez !

Et tant de justesse dans tous ces petits "quelque chose", ces "trois fois rien" qui emplissent le quotidien !

C'est un délice de vous lire. Merci.