Le sort de nos aînés
par Brigitte Beaudin
Depuis le début de la semaine, des familles peuvent enfin se retrouver dans les EHPAD. Quel soulagement de savoir que des personnes âgées vont, ne serait-ce que quelques minutes, revoir et réentendre leurs proches !
Je reviens en pensée dans l'EHPAD où ma mère a séjourné pendant 13 ans.
À son entrée en 2006, on parlait encore de maison de retraite. La sienne appartenait à un propriétaire privé. C'était un petit château derrière lequel s'étendait un beau jardin. Bien sûr, c'était un peu vétuste mais ça avait son charme. Le personnel ne changeait guère et nous connaissions chacune des aides-soignantes qui s'occupaient de notre mère. Elle les appelait par leurs prénoms ou par leurs surnoms et appréciait les attentions de certaines d'entre elles qui se mettaient en quatre pour lui faire plaisir. Ainsi Maria venait lui chanter Edith Piaf et se débrouillait pour lui apporter de la salade de fruits lorsqu'elle constatait que maman n'avait pas touché à son dessert. Certains soirs, Sonia venait s'asseoir dans le fauteuil de la chambre après avoir préparé deux tisanes avant de quitter le château. À cette époque, les résidents prenaient un grand plaisir à cocher les repas proposés pour les surlendemains. Je les voyais dans le hall commenter les menus et choisir les plats de leur choix. Le personnel était obligé de faire une pause de trois heures entre le déjeuner et le goûter. Comme la plupart des femmes ne disposaient pas de véhicules pour rentrer chez elles, elles restaient au centre et il leur arrivait de venir tricoter au chevet des résidents et de discuter avec eux ou avec les membres de leurs familles.
Au bout de trois ans, la maison de retraite a été vendue à une multinationale.
Progressivement, des visages ont disparu, parfois du jour au lendemain et on a assisté à des renouvellements de personnel très fréquents. Les directeurs et directrices n'ont cessé de valser. Dans un souci de rigueur, on a instauré un menu unique, ce qui a provoqué un énorme gâchis ; certains plats repartaient sans avoir été touchés. Dans un premier temps, les aides-soignantes ont apprécié la journée continue mais très vite se sont plaintes de la fatigue et de maux de dos très pénibles. Elles passaient souvent chez ma mère qui avait de nombreuses visites, ma famille se relayant à ses côtés, et elles se posaient quelques minutes pour discuter avec nous.
Le soir, quand nous quittions maman, nous trouvions les voitures des chanceuses dont les maris attendaient dans la cour pour les ramener et nous apercevions les silhouettes de celles qui se pressaient vers l'arrêt du car qui les mènerait à la ville située à trois kilomètres. Si elles le rataient, elles n'attendaient pas le prochain et descendaient vers la gare en marchant.
Plusieurs années plus tard, les résidents ont déménagé dans un établissement luxueux situé entre une voie ferrée et une route nationale. Le confort y était mais il y avait de moins en moins de personnel. Parfois, souvent, il n'y avait plus personne à l'étage après le dîner et les derniers soins. Inutile de sonner lorsque nous avions besoin d'aide...
J'ai lu qu'il était très lucratif de placer dans le secteur des personnes âgées et que les multinationales ne s'occupent que des lieux, des repas et des animations. Je ne sais pas précisément qui est responsable du personnel, qui l'embauche, qui le paie, qui choisit de recourir si souvent aux intérimaires...
Enfin, je pense encore à celles que l'on appelait dans les couloirs, qui couraient d'une chambre à l'autre et qui criaient : « Je peux pas être partout ! »
Peut-être cette épidémie va-t-elle enfin améliorer le sort de nos aînés et du personnel de nos EHPAD ? On veut y croire.