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Vivre confinés
24 avril 2020

Solitude et isolement

 

par Martine L.


 

Ce 23 avril à 10h du matin, mon téléphone sonne. C’est ma nourrice, H., qui m’appelle. Elle a 91 ans et elle vit seule en Bretagne dans sa maison. Elle est à deux doigts du foyer logement, mais elle a toujours la volonté de rester chez elle. Ce matin, elle m’annonce qu’elle a une « suspicion de Covid ». Son médecin traitant est venu la voir à sa demande et a marqué « suspicion de Covid 19 ». Je tombe des nues. Elle ne tousse pas, elle n’est pas sortie depuis des lustres... alors comment l’aurait-elle attrapé ? 

Elle avait droit jusqu’alors à des assistantes de vie qui venaient l’habiller et la déshabiller Chaque jour. Elle avait aussi une infirmière qui passait pour gérer ses médicaments et enfin une assistante de vie qui faisait le ménage, la vaisselle et les courses en 1 ou 2 heures. H. arrivait à se nourrir seule avec une volonté qui m’a toujours épatée. 

Cette phrase : « Suspicion de Covid 19 » a eu pour effet immédiat de lui supprimer les personnes qui venaient l’habiller et la déshabiller. On lui a en outre demandé d’aller passer le test pour le coronavirus dans un centre médical à 20 km de chez elle ! Elle ne marche quasiment plus et ne conduit plus du tout. Et qui voudrait l’emmener ? 

rivage breton


H. est arrivée dans ce village de bord de mer après avoir travaillé chez mes parents. En 1966, elle a épousé un Breton, veuf, menuisier et communiste. Elle arriva avec son petit garçon qui avait alors 12 ans. L’accueil ne fut pas très chaleureux, le curé avait encore beaucoup d’influence en Bretagne. Et au lieu de prendre le temps de voir comment elle pourrait s’insérer, elle a braqué pas mal de monde et notamment sa nombreuse belle-famille. 

Toujours volontaire, elle a passé son permis de conduire, est devenue vendeuse à domicile avec succès. Elle cuisinait très bien, parlait beaucoup. Elle aimait aller à la plage pêcher la palourde et le bigorneau. Elle était heureuse, elle avait enfin sa famille - un autre petit garçon avait vu le jour - et sa maison qu’elle a aménagée avec une grande joie. 

Puis son mari est mort - il avait 10 ans de plus qu’elle. 

Elle n’a jamais vraiment réussi à s’intégrer et hormis une nièce de son mari, elle n’a pas réussi à se faire des amis ou plutôt si, une amie, mais pour des raisons qui serait trop longues à évoquer ici, elles ont dû arrêter de se voir. 

Veuve, enfants partis, elle est plutôt isolée mais grâce à sa volonté, à sa maison et à son jardin, elle a tenu bon. 

Maintenant, à 91 ans, elle pense que les rares personnes qui venaient la voir ne viendront plus. Elle passe ses journées en pyjama. « Je suis pestiférée », me dit-elle. 

À la demande expresse de son fils, un infirmier passera finalement chez elle faire le test du coronavirus. 

J’ai le cœur serré en pensant à la solitude de ces femmes et de ces hommes dépendants des autres en ces temps de confinement. 

 

 

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Commentaires
A
"Comment aurait-elle pu l'attraper ?" J'espère pour H. que je ne connais pas qu'elle ne l'a pas, ce fichu Covid, mais si c'est le cas... les fameuses assistantes de vie sont des contacts, les infirmières, les aide-ménagères, avec la meilleure volonté du monde, ne peuvent éviter de tomber malade. Entourer trop peut parfois nuire, paradoxalement. Chaque contact constitue un risque, hélas.
Répondre
J
Voilà un témoignage bien émouvant, merci à vous
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