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Vivre confinés
20 avril 2020

Parler tue

 

par Liliane Guisset



Je pourrais intituler ce billet « Le monde du silence », mais le titre est déjà pris. Et puis je préfère le mien, sorte de formule lapidaire qui m’en rappelle une autre : le fameux « Fumer tue » dont les huit capitales persistent à étaler leur vaine injonction sur chaque paquet de cigarettes européen. 

Désormais, parler à l’ami, à l’enfant, au frère, à l’amant, parler à l’inconnu des terrasses qui vous regarde et vous sourit au minuit d’un été, dire les mots, même les plus beaux, même les plus forts, est potentiellement un acte criminel. Nous sommes tous des assassins en surpuissance. 

Tout baiser, du baiser chaste sur la joue des amitiés au baiser fou sur la chair des désirs, tout baiser est un colis piégé. Tout chant qui éclora d’un souffle, tout rire qui vibrera l’espace de ses éclats, toute vie souriant à sa propre explosion devra se passer de témoin rapproché sous peine de mort. Cette mort qui nous fait un clin d’œil à chaque coin de rue et se tient déjà là, sur ce seuil qui marque la lisière entre le dedans - où vous vous terrez comme en bunker - et le dehors qui étend ses asphaltes comme une eau vénéneuse. Elle tapine un peu partout, la mort, elle n’a pas de lieu d’élection particulier. Invisible, omniprésente, omnipotente, capable de pourfendre d’une seule flèche, comme le ferait le grand Maître des Archers, les cinq continents. Elle est assise dans la roseraie d’un parc, sur un banc public à côté d’un homme seul, qui ne la voit pas et tend son visage aux douceurs d’un soleil d’avril...  Elle est partout, dans la plus obscure des ruelles et la plus lumineuse des avenues.  Elle a semé d’un bout à l’autre de la planète un silence de tombeau comme une Furie un perlimpinpin mortel.

 

le silence

 

Le monde en avait peut-être assez des bruits et des fureurs qui terrorisaient les bêtes et que les forêts les plus denses ne parvenaient même plus à étouffer. Peut-être a-t-il envoyé en douce le plus discret de ses tueurs d’élite pour mettre fin aux grands chambards qui lui vrillaient les tympans à coups de méga décibels ? Peut-être était-il nostalgique d’un silence originel, ce silence d’avant la terre où d’étincelantes constellations cherchaient encore leur place ?

Nous voici malgré nous à l’écoute d’une autre musique : la nôtre. Nous ne la connaissions pas. Trop occupés à parler, à nous divertir de nous-mêmes. Nous sommes devenus des notes à atteindre et à poser sur la portée d’une invisible partition que nous tend ce silence qui nous effraye tant. Ce silence à couper au plus affuté des couteaux et dont on ne prête la maîtrise qu’aux tombeaux ou à la neige qui de tout temps fit taire le monde avec la grâce qu’on lui connaît.

Sur les partitions, le silence entre une note et une autre est un espace de haute fertilité, et pour le musicien, une cour des miracles. 

J’aimerais être ce silence-là.

Quant au monde, s’il pouvait se taire encore un peu...                                                  

 

 

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