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Vivre confinés
11 avril 2020

On pourrait peut-être tout changer…

 

par Charlène Canchel


C’était en mars je crois. Ou peut-être en juin, je ne sais plus.

J’ai arrêté de compter.

Enfin ce jour-là, la Terre s’est arrêtée de tourner.

En un instant, les rideaux se sont baissés.

« Tout le monde dehors ! », a dit l’taulier, la fête est terminée.

Une à une, les rues se sont vidées.

Puis les cours de récré, on a mis les rires des enfants sous clef.

Les avions se sont posés, on a rendu le ciel aux oiseaux.

On a fermé les églises, les mosquées... Même Dieu est confiné.

On a fermé la mer, fermé les montagnes, mis de la rubalise sur les sommets.

On a fermé Venise, Paris et Chicago,

On a même fermé mon bled, là vraiment, ça doit être chaud !

 

Hébétée, derrière mon écran, je regarde le monde se barricader

comme on regarde un mauvais film catastrophe sur la 6,

en me disant que sur ce coup-là on ne pourra pas compter sur Bruce Willis.

Je zappe.

« C’est la guerre ! » qu’il dit l’autre...

Tu nous a bien regardés ? On n’est même pas armés...

Il m’entend pas pester, il continue de causer.

« L’ennemi est invisible, il est partout. »

Il s’immisce dans une confidence, une poignée de main, un éclat de rire ou un baiser.

Ne plus respirer.

Combien de temps peut tenir le monde en apnée ?

 

C’est peut-être bien la guerre quand même...

Dehors d’interminables bombardements de silence.

Le monde explose sans un bruit.

Chaque jour, on compte les morts.

Discret l’ennemi pourtant on ne parle plus que de lui.

Mesquin aussi.

Qui vole les dernières miettes de vies des p’tits vieux.

Leurs derniers souffles, leurs maigres économies.

 

Le coronavirus alias Covid 19 mesure un millionième de millimètre...

Bref ce virus, la risée d’une puce, a réussi à mettre trois milliards d’humains

au placard, à faire effondrer la Bourse, à remettre en question la mondialisation.

J’en viendrais presque à le trouver mignon.

Un ordre me ramène à la raison.

Vous êtes confinés. Restez chez vous !

Interdit de sortir, de danser, de trinquer, de s’embrasser.

Interdit de vivre jusqu’à nouvel ordre, pour ne pas mourir.

Obéir...

 

Passée l’expérience d’un fantasme à la Pink Martini, je change de disque,

Nettoyer, balayer, astiquer...

Vient l’ennui, les heures qui s’étirent. La pendule s’est arrêtée.

Chaque matin, me voilà devenu Bill Murray dans un jour sans fin.

Ermites modernes rivés à nos écrans, on grignote des amitiés virtuelles,

des étreintes téléphoniques, maigre consolation pour maintenir l’illusion.

 

19255628

 

Privé des nôtres. Les copains, les frangins.

Interdit de sortir... Rien pour nous distraire de nous-mêmes.

Nulle part où se fuir, depuis le temps qu’on s’évite.

Là face à nous, notre vie telle qu’elle est. Sur pause, figée.

Salut vieille branche ! Ça fait un bail. Alors c’est ça ta vie ?

Oh ta gueule !

 

Dans ma poche, j’ai mon papelard, je mets un pied dehors.

Comme une immersion en Corée du Nord...

C’est presque bizarre, je passe ma barrière, mi-guerrière, mi-aventurière.

Je risque de croiser des militaires.

Ça nous fait tout drôle, à nous, les nés du bon côté

d’être rationnés d’espace, de faire l’expérience de l’interdit.

Privée de liberté. Je ne l’ai jamais tant aimée.

 

Dans ce supermarché dévalisé, face à toutes ces mines apeurées,

j’ai comme envie de pleurer.

Ne pas se disperser, se protéger.

L’autre est dangereux mais qui ? L’autre là ?

Celui qu’on ne connaît pas avec ses mains pleines de doigts dans le même rayon que moi.

Ou notre voisin qui nous regarde en coin parce qu’on est allé acheter du pain ?

Lui, là, le parisien qui a pas voulu suffoquer dans son F1 ?

Ma mère, mon gamin, mon chien ?

Non pas eux bien-sûr.

C’est celui qui est loin, c’est le mangeur de pangolins !

On dit rien mais on en pense pas moins.

Et puis toujours, ceux dont on parle moins...

L’autre là sur son trottoir qui voudrait bien rester chez lui si seulement il en avait un,

Et tous les autres que la presse a oublié entre deux frontières, toujours trop loin.

C’est fou, même là, on oublie qu’on n’est rien que des foutus terriens.

 

Et puis merde quoi ! On fait comme si on n’y était pour rien.

À force de trafiquer le monde, ça nous pendait au nez.

Ben ouais on l’a pas volé.

C’est que la planète, ça fait un moment qu’elle a tous les symptômes,

qu’elle tousse, qu’elle a de la fièvre, qu’elle est malade,

on a tendance à oublier qu’elle aussi c’est une vieille dame de 4 milliards d’années.

Alors là c’est bien, on la laisse se reposer.

D’ailleurs, depuis qu’on sort plus, le ciel en finit pas d’être bleu.

 

Certains disent que c’est un avertissement. D’autres que rien ne plus comme avant.

On sait que tout peut basculer. On est vulnérable. On va plus déconner.

 

Oui mais demain ou après-demain quand on ne sera plus confinés,

parce que tout ça va bien finir par se terminer, oui mais alors quand on aura tout oublié?

C’est peut-être un peu bête mais je me prends à rêver, qu’on pourrait peut-être tout changer ?


 

 par Charlène Canchel, 33 ans, de son village du pays de Caux, Sassetot-le-Mauconduit

 

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