Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vivre confinés
9 avril 2020

J'enrage (1)

 

par Anne Poiré


 

Hier, pour la première fois depuis le confinement, soit trois semaines très exactement, jour pour jour, j’ai fait ma première sortie jusqu’à un commerce. Et pas n’importe lequel : je n’avais pas trop le choix, il s’agit de la pharmacie.

J’ai la chance d’avoir un mari « enfant de la guerre », qui stocke, toujours, pour le cas où. Et nos placards comme nos deux congélateurs, étaient bien pleins, lorsque l’État nous a demandé, pour le bien de tous, de rester chez nous.

Stay at home. C’est sûr, la consigne n’est pas comprise de la même façon par chacun. Nous sommes donc restés dans notre maison, notre jardin, et je n’ai souffert aucune dérogation. Par exemple, Patrick aime plus le pain que moi, nous n’en avions pas tant en réserve : j’ai commencé à manger du riz sucré, le matin, ou du couscous à la confiture. Nous avons adapté nos repas à ce que nous trouvons dans les placards, et parfois, quelle joie, nous avons fait de belles trouvailles. Je pense à ces cerises congelées au printemps dernier, une merveille de suavité et de fermeté. S’offrir le luxe d’en décongeler deux ou trois poignées plusieurs jours de suite, en plein mois de mars, fut un réel plaisir !

Et pourtant, j’enrage. Non pas de nos conditions de vie, qui sont vraiment excellentes, en cette période épouvantable. Je n’oserai pas me plaindre. Je pense aux Juifs, pendant la guerre... Il me semble indécent de s’apitoyer sur ce que nous vivons.

Néanmoins, j’enrage.

J’enrage de voir à quel point les mêmes consignes débouchent sur des résultats différents. J’enrage à l’idée que je vais rester confinée encore plusieurs mois, peut-être, en raison de l’inconscience de quelques-uns. Je pense à ces nombreux témoignages directs, que je recueille, par téléphone, sur les ondes, aussi. Chacun a une bonne raison pour penser que le confinement strict c’est peut-être pour les autres, mais pas tout à fait pour soi. Je pense à cette dame, âgée, à peine remise d’un cancer, dont le mari continue à aller chercher chaque matin le journal au village. Elle est sûre qu’elle ne prend aucun risque, puisque c’est LUI qui sort. Je pense à ce couple, avec deux enfants, dont la suspicion de Covid peut sembler très sérieuse, compte tenu des symptômes dont ils souffrent. Les enfants ont envie, besoin de bouger. Eh bien ils sont allés faire de la trottinette, avec les petits, juste à côté, pas loin, sur le parking de la crèche, c’est-à-dire, dans la rue : « Franchement, on ne risque rien, en ce moment, là, il n’y a personne. Et tu sais, avec des enfants, c’est difficile de leur dire non. » Je pense à ces amis, en attente d’une greffe, qui vont se promener, tous les jours, une heure, puisque c’est autorisé. Je pense à cette parente, très consciente des risques, bien confinée, et qui se plaint de sa commande tardant à arriver... « Ben oui, sur Amazon, j’ai pris de la laine, pour tricoter, mais ils en mettent du temps à me livrer ! » Première nécessité... elle n’avait pas réalisé qu’elle faisait prendre des risques aux emballeurs, vendeurs, transporteurs, pour une activité pas franchement fondamentale. Je pense à cette autre personne, bac + 5, dont le mari soignant vient d’être confirmé « Covid+ ». Le mari est consigné à la maison, et l’amie me raconte, très énervée, « Tu te rends compte, je suis allée au travail, il y a trois jours, et ils m’ont tous regardée comme une pestiférée. Pourtant je portais un masque, je respectais les consignes de sécurité... Si ça se trouve, c’est eux qui ont le Covid, et moi je ne l’ai pas. J’ai dû rentrer, je ne peux plus aller au travail, mais je leur en veux. » Vous avez bien lu. C’est elle qui en veut aux gens qu’elle est allée, peut-être, bien involontairement, pense-t-elle innocemment, contaminer.

Il est vrai qu’avec son époux - du milieu médical, tout de même ! -, ils prennent toutes leurs précautions : ils font désormais chambre à part, et dans leur appartement, ils portent tous les deux des masques, tout en mangeant chacun à une extrémité de la table. Mais cette personne peut être asymptomatique, ou contaminée depuis combien de temps ? Tant de gens ayant fait des études, capables de penser, deviennent... étranges, à mes yeux, lorsqu’il est question de cette pandémie. Comme cette enseignante dans un IUT qui m’a affirmé il y a quelques jours... oui, on est le 9 avril, il y a déjà beaucoup de morts sur cette planète, qu’on ne parle pas assez de la grippe, qui occasionne, elle aussi, des ravages. Elle fait sans doute partie de ces personnes qui ne se font pas vacciner – par principe ! - et ne comprennent pas qu’on se vaccine surtout pour les autres, comme on ne se confine pas tant pour soi que pour préserver ceux qui nous entourent.

 

procession GUALLINO

(à suivre)

Publicité
Publicité
Commentaires
Vivre confinés
  • Blog à vocation temporaire créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir vos témoignages au jour le jour en ce temps du "vivre confinés". http://autobiographie.sitapa.org
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Comment contribuer à ce blog

Adresser votre texte (saisi en word, sans mise en page, en PJ à votre mail) à l'adresse :

apablog@yahoo.com

- Envoyez si possible une image (séparément du texte)

- Précisez sous quel nom d'auteur il doit être publié

- Il est préférable que le texte ne soit pas trop long... pour en rendre la lecture plus aisée

L'activité de ce blog a pris fin le 1er juin 2020. Il reste néanmoins disponible à la consultation.

Newsletter
Archives
Vivre confinés
Publicité