Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vivre confinés
4 avril 2020

Ma maman, au temps du coronavirus (3)

par Anne Poiré

Jeudi 2 avril 2020

Résumer, donc, mes difficultés avec maman ? Il me semble que l’une des dates pivots a été le dimanche qui a précédé les élections municipales, en France.

Le dimanche 8 mars, l’une de mes sœurs m’appelle et m’alerte à propos de maman. Je raccroche aussitôt, et lui téléphone à mon tour, pour lui dire, « Maman, tout de même, tu ne vas pas aller à l’église ce matin ? » On savait déjà qu’un cluster s’était déclaré autour de Mulhouse. Deux mille pélerins venus de partout dans un rassemblement évangéliste allaient réussir à faire exploser un foyer épidémique qui se répandrait loin, même outre-mer. J’ai essayé d’expliquer à maman le danger de la proximité, dans un contexte religieux. Le pape lui-même, ce jour-là, ne dirait pas la messe à Rome, mais se ferait filmer, dans ses salons particuliers, preuve qu’il y avait du danger.

Maman résistait, au téléphone. J’essayais de la convaincre : « Tu ne peux tout de même pas être plus royaliste que le pape ! Si lui-même ne va pas à l’office... » « Oui mais... » Maman ripostait : « C’est que ce matin c’est madame C. qui doit m’emmener, pour le covoiturage. Elle m’a appelée, tout à l’heure, j’ai dit oui ! » Je n’ai pas hésité. J’ai raccroché, et téléphoné à cette madame C. que je n’ai pas vue depuis 40 ans. « Bonjour, ici Anne Poiré, la fille de Lisbeth Poiré. Je suis désolée de vous déranger, mais... » J’ai expliqué mon point de vue, que ce n’était pas raisonnable, que je tenais à ma maman, qu’elle fait désormais partie des publics à risque. Madame C. bien sûr est elle aussi relativement âgée, et donc fragile : « Nous n’irons pas communier. » « Certes, mais vous serez ensemble, dans la même voiture, sur le même banc, vous allez voir du monde, de façon assez proche, vous serrerez des mains, vous serez à proximité d’autres gens, foyers possibles d’infection... » La dame m’a fait comprendre que j’étais une fille indigne, pas gentille, à vouloir priver ma maman de sa messe, mais à la fin, elle a admis qu’elle irait seule à l’office, qu’elle ne passerait pas prendre ma maman, chez elle. Ouf ! ai-je pensé...

Quand on croit gagner une bataille...

Maman n’a pas semblé vraiment furieuse de mon action, très inhabituelle : me mêler de sa vie, directement. Je n’aurais pas aimé que nous nous fâchions pour cette initiative mienne, relativement autoritaire, je l’avoue, mais « pour son bien ». Il faut dire qu’elle n’avait pas encore pris son bain, n’était pas totalement habillée, elle était plutôt en retard puisque madame C. allait bientôt partir pour l’office. Je crois que j’ai dû lui rendre service. Et j’ai cru avoir remporté la guerre.
Ma mère a donc peut-être regardé la messe à la télévision. Je ne le sais même pas, en fin de compte. Ce que je n’ignore pas, en revanche, c’est qu’elle m’a appelée, toute guillerette, ravie, radieuse, vers 17 heures 30, sourire jusqu’aux oreilles. Heu-reu-se ! « Anne, si tu savais quel bon dimanche j’ai passé ! » Mon cœur s’est mis à battre, inquiet.

« Tu sais d’où je reviens ? »

Poiré 3

Ra-vie ! Maman s’était tout bonnement rendue, à midi, avec sa voisine et amie madame K., à la fête organisée par Madame le Maire, au village, pour les anciens. Plus de cent personnes âgées, à la MJC de la commune, pour un repas festif, sympathique comme tout. Promiscuité absolue. « Si Madame le Maire, qui est quelqu’un de très bien, avait pensé qu’il y avait le moindre danger, je t’assure, Anne, elle aurait annulé ! » Et maman de me raconter, car depuis quelques jours j’essaie de lui expliquer les règles de distanciation sociale... que, bien sûr, elle a revu à cette occasion des amis pas croisés depuis longtemps. « Mais c’est difficile, Anne ! Tu comprends... » Elle ne les a pas embrassés, ils se sont juste serré la main, ou serrés dans leurs bras. « Tu vois ! » L’accolade, comme éloignement possible du virus... J’étais atterrée. Je crois que je me suis même un peu fâchée, à tenter d’expliquer à ma mère que si l’événement n’avait pas été annulé, c’était peut-être pour des raisons économiques, un repas commandé, prévu, des animateurs payés pour les distraire. Mais d’un point de vue sanitaire, concernant leur sécurité... « Mais non, Anne, Madame le Maire sait ce qu’elle fait ! On peut compter sur elle. »

Mon cœur battait. J’aime ma maman. Mon père est mort quand j’avais neuf ans. Elle est donc « nos parents » à elle toute seule, nous sommes sans doute des enfants protecteurs, à vouloir lui éviter le pire... Et elle a plus de 90 ans.

Mais quelle mère désobéissante, impossible à canaliser ! Je n’ai pas pu lui expliquer qu’elle avait commis une grosse bêtise, d’autant que l’une de mes sœurs, qui n’avait pas encore pris la mesure de la crise, à ce moment-là, l’avait invitée, le vendredi précédent, soit trois jours plus tôt, avec plusieurs de ses amis. Uniquement des personnes âgées... et tout le monde s’était embrassé, serré la main. Maman ne comprenait pas pourquoi soudain je voulais l’empêcher d’avoir des rapports « normaux » avec les autres.


 (à suivre)

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Vivre confinés
  • Blog à vocation temporaire créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir vos témoignages au jour le jour en ce temps du "vivre confinés". http://autobiographie.sitapa.org
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Comment contribuer à ce blog

Adresser votre texte (saisi en word, sans mise en page, en PJ à votre mail) à l'adresse :

apablog@yahoo.com

- Envoyez si possible une image (séparément du texte)

- Précisez sous quel nom d'auteur il doit être publié

- Il est préférable que le texte ne soit pas trop long... pour en rendre la lecture plus aisée

L'activité de ce blog a pris fin le 1er juin 2020. Il reste néanmoins disponible à la consultation.

Newsletter
Archives
Vivre confinés
Publicité