De l’interprétation des consignes
par Bernard M.
Ce matin, je discutais – par téléphone – avec une cousine qui habite dans notre ville. En parlant, nous nous sommes aperçus que nous avions une façon bien différente d’aborder la situation et de suivre les consignes.
Une fois par semaine, elle prend sa voiture et va faire son plein au supermarché et c’est sa seule et unique sortie. Elle reste dans son appartement, se tient un moment sur sa grande terrasse quand le temps le permet, sinon elle regarde beaucoup, beaucoup la télévision, téléphone aux uns et aux autres et c’est tout. C’est le respect intégral de la consigne, sous sa forme la plus radicale, sa seule sortie est vraiment marquée du sceau de la nécessité.
Il n’en est pas de même pour moi. Je respecte pourtant les consignes, j’ai toujours mon autorisation dûment remplie quand je sors, je me balade en respectant le rayon d’un kilomètre et ne reste pas dehors plus d’une heure. Mais j’exploite au maximum ces autorisations. Les achats de « première nécessité » ne le sont pas de façon absolue, des courses alimentaires certes mais chaque jour en choisissant d’aller chez tel et tel commerçant pour me faire plaisir, en ne manquant pas un jour d’aller chercher la baguette bien fraîche, en allant me promener au hasard des rues alors que je pourrai me contenter du jardin pour l’exercice physique. Lorsque, une fois de temps en temps, le moins possible, je vais au supermarché pour certains produits, j’y vais à pied, avec mon petit cabas sous le bras et mon sac à dos, et non pas barricadé dans la voiture.
Bref je ne sors pas « le moins possible », je ne suis pas aussi complètement fidèle que je pourrais l’être, au « restez chez vous, restez chez vous, restez chez vous »…
Pour autant, je ne pense pas manquer de sens civique et risquer de mettre autrui ou moi- même en danger dès lors que je prends les précautions nécessaires. Il me semble que cette façon de maintenir tout ce qui peut l’être de la vie normale est au contraire bénéfique.
Je ne ressens pas du tout pour ma part ce que je lis ici ou là à propos d’une espèce d’hostilité latente qui règnerait entre les gens lorsqu’ils se croisent, d’une tension permanente comme si l’autre était perçu avant tout comme le porteur potentiel de miasmes délétères (j’ai entendu cette histoire de propriétaires à Montpellier qui ont chassé leur locataire parce qu’elle est infirmière, cela me parait à peine croyable !). Au contraire dans les rues si vides où l’on peut marcher au milieu de la chaussée, on a tout loisir de saluer les rares personnes croisées. Et presque personne n’y manque. On dit bonjour aux gens que l’on ne connait pas, on se sourit, ce n’est rien du tout, rien qu’une cordialité de bon aloi, bien sûr on passe à distance et on a raison, mais n’empêche ça fait du bien. Dans notre sortie du jour, traversant le quartier des HLM (bon c’est modeste ici le quartier des HLM, ce n’est pas la cité, cinq ou six petits immeubles tout au plus), deux grands gars au look typique et à la casquette retournée nous ont hélés avec de grands sourires de leur balcon au quatrième étage lorsqu'on est passés au pied de l’immeuble, on s’est arrêtés un instant, on a agité la main en leur souhaitant « bonne journée », ce n’était rien et c’était beaucoup ! Cela contribue à la « bonne humeur communicative » dont parlait avec justesse Annie R. dans un récent billet. On en a tous tellement besoin de bonne humeur, elle est tellement importante pour combattre l’angoisse qui plane par ailleurs.
De ces petites balades on revient ragaillardis, pas seulement de s’être dérouillé les jambes et d’avoir contemplé les cerisiers en pleine floraison mais aussi d’avoir échangé, ne serait-ce qu’un regard chaleureux, avec un passant inconnu…
A part ça, je voulais dire que ce matin j’ai beaucoup apprécié l’interview de Bruno Latour sur France Inter et sa façon tout à fait pertinente de parler de l’après. Dans son article « imaginer les gestes-barrière contre le retour à la production d’avant-crise », il propose que chacun réfléchisse sur les activités qui pour lui, seraient essentielles à reprendre ou celles qu’il faudrait au contraire abandonner. Une démarche originale partant de la réflexion de chacun. Je vais essayer de prendre le temps d’y réfléchir pour moi-même.
(vendredi 3 avril, 22 heures)