Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vivre confinés
3 avril 2020

Ma maman, au temps du coronavirus (2)

par Anne Poiré


Juste préciser aussi autre chose, c’est qu’avec Patrick, avec qui je partage ma vie, nous avons été alertés très tôt sur ce qui est en train d’advenir. Nous avons fait une exposition à Hanoi en 2005. Nous avons alors rencontré une charmante vietnamienne, heureusement francophone. Nous sommes restés en lien avec elle. Ce 3 janvier 2020, elle nous a envoyé ses vœux. Elle parle rarement de sa vie personnelle. Exceptionnellement, elle s’est épanchée. Très fatiguée, parce que sa maman était hospitalisée, elle a dû beaucoup s’occuper d’elle.

"Bonjour Anne et Patrick

Je vous souhaite une très bonne année 2020, pleine de bonheur et de joie!

Je vais bien, mais épuisée. Ma mère est malade depuis deux mois. Elle a eu une pneumonie, la dengue, puis la grippe A, puis l’insuffisance rénale. Après un mois et demi passé à l’hôpital, elle est rentrée chez elle mais pas complètement guérie. Les médecins estiment que c’est mieux pour elle de rentrer à la maison pendant un certain temps avant de finir le traitement dans un mois. Je dois m’installer chez elle depuis deux mois, même durant son hospitalisation, car sa maison est située beaucoup plus proche de l’hôpital que mon appartement. J’ai engagé quelqu’un, mais même à deux, c’est toujours épuisant. J’espère pouvoir vous donner des informations plus optimistes bientôt.

Je vous embrasse tous les deux"

Je n’indique pas le prénom de notre amie : elle habite un pays autoritaire... où sans doute ce Covid-19 est un secret d’Etat. Nous ne voulons pas qu’elle ait des ennuis. Donc, deux mois avant la Chine, le Vietnam était déjà touché... Notre amie nous a involontairement décrit le Covid-19 avant même qu’on n’en parle, en Europe, à propos de la Chine. Par contre, lorsqu’il a été question de Wuhan, nous avons établi le lien...

Je vous rassure, sa maman a fini par sortir de l’hôpital... Le 9 février, notre amie nous a écrit :

"Merci Anne et Patrick

Heureusement, ma mère va beaucoup mieux. Elle devrait aller à l'hôpital demain pour des examens mais vu la situation, je préfère retarder ce rendez-vous. Pour l'instant, chez nous, ce n'est pas chaotique, mais tous sont sủ le qui-vive. Hier, je me suis promenée avec des amis dans un parc désert alors qu'il est normalement bondé. Les écoles sont fermées. On ne sait plus comment les choses vont évoluer. 

Je vous embrasse"

N’empêche : nous avions de quoi être inquiets, à suivre de loin ce qui se passait en Chine, puis ce qui a commencé à advenir en Italie.

Poiré 2


Du côté de ma maman ? Elle ne nous parlait jamais, au téléphone, de toutes ces histoires lointaines ; ça n’arrivait qu’aux Chinois, qu’aux Italiens. Non qu’elle soit égoïste, mais j’ai l’impression que passé un certain âge, les territoires ne sont plus les mêmes... Je précise que j’habite à 469 kilomètres de chez elle. Nous nous écrivions assez souvent, avant l’épidémie, parfois même nous échangeons des mails, même si elle oublie un peu comment fonctionne son ordinateur, et surtout, bien sûr, nous utilisons le téléphone. Désormais, de façon quasi quotidienne.

Maman était donc plutôt protégée de cette peur, préoccupée uniquement de sa future entrée en EHPAD, à trier, dans ses affaires, se demander ce qu’elle allait emmener, garder, comment organiser ses choix. Elle me faisait rire, me touchait, même, à vouloir « tout » prendre, à envisager qu’elle pourrait glisser presque toute sa maison, une vie entière, dans un petit coffre en bois, « Mais si, Anne, en tassant bien ! » Elle passait ses journées à déplacer des piles, d’une pièce à l’autre. « Ce livre, là, il est vraiment important. Je le prendrai avec moi ! » « Et ce souvenir, bien sûr, tu comprends que je ne peux le laisser... » Chaque soir, elle me parlait de ses absences de tri. C’était presque devenu un jeu.

Et puis ma mère a tout de même pris conscience qu’il se passait quelque chose. Elle habite en Lorraine, et – vous avez tous entendu parler du Grand Est, de Mulhouse... une première victime est morte du Covid-19. Elle était vosgienne, maman est lorraine : le mal se rapprochait.

Je crois hélas que ma mère n’a toujours pas compris à ce jour vraiment l’étendue du problème. Elle est désobéissante... comme une femme de plus de 90 ans qui n’en fait qu’à sa tête, et n’a pas l’intention de plier, ni face à la demande de ses sept enfants, inquiets, désireux de la protéger, ni même devant ce qu’on pourrait appeler les « lois », l’obligation de rester chez soi. Elle a connu la seconde guerre mondiale.

Alors toutes ces histoires...

Demain je raconterai mes heurts, contre elle, mes difficultés à me faire entendre. C’est cela, mon journal de confinement, cela, qui me motive et me donne envie de vous rejoindre, les amis, avec « Vivre confinés ».

J’aurais dû passer ma journée à écrire ce texte, mais curieusement, il a fallu que l’appel de l’APA parvienne jusqu’à moi, mûrisse, débloque aussi les mots. Libère la parole... Que je m’autorise à raconter ces difficultés que j’ai à obtenir de maman qu’elle fasse tout pour rester en vie. Elle ne se sent pas en danger. Ne comprend pas. Ne le veut ou ne le peut pas ?

Visiblement, d’autres personnes âgées, comme elle, sont récalcitrantes. Ne mesurent pas le risque. Aurélie, mon ancienne élève qui est devenue banquière, n’en peut plus, de cette génération de plus de 80 ans, qui prend rendez-vous, pour des opérations faciles à envisager par téléphone, ou en ligne. Ces dames qui veulent presque l’embrasser, lui serrer la main. Aurélie recule, doit leur rappeler le marquage au sol, et les lèvres se serrent, les gens prennent la mouche, croient que c’est « contre eux », quand cette mesure de précaution est supposée protéger les uns comme les autres. La distanciation sociale semble incompréhensible pour des personnes un peu âgées, visiblement.

Et j’ose écrire ces mots pour un blog de l’APA, dont la moyenne d’âge des adhérents ne doit pas être particulièrement basse !


(à suivre...)

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Il me semble que la dengue et la grippe A sont des maladies à part entière et non pas des symptômes du covid 19! Sans aucun angélisme sur ce régime politique et son contrôle de la communication, je peux juste témoigner de ce que j'ai vu sur place entre le 4 et le 26 février. Je sais aussi que ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Mais ce qui est certain c'est que des mesures ont été prises rapidement. les écoles sont restées fermées après les vacances de la fête du Têt et les frontières avec la Chine fermées également. A partir du 4 février, toute personne ayant séjourné en Chine dans les 14 jours précédant son arrivée au Vietnam ne pouvait pas entrer sur le territoire. Le port du masque était de rigueur pour tout le monde ainsi que l'usage du gel hydroalcoolique (masques et gels que l'on pouvait se procurer sans problème dans toutes les pharmacies). Il y avait partout, y compris sur les voitures de police, des placards sur les gestes à adopter. Dans certains endroits on vous prenait la température avant de vous laisser entrer. Et la mise en quarantaine était de rigueur quand un cas était déclaré. A Hanoï les marchés étaient fermés (mais dans aucune autre ville où nous sommes passés). En revanche, sauf dans la baie d'Halong, nous avons toujours vu énormément de monde. Certes, les hôtels n'étaient pas pleins et il y avait eu un certain nombre d'annulation, essentiellement par les touristes asiatiques d'ailleurs, et dans les campagnes, les villages au sud d’Hanoï par exemple étaient désertés par les vietnamiens qui habituellement venaient y passer le week-end. Mais si vous faisiez une promenade autour d'un des lacs de Hanoï entre le 20 et le 26 février) quel que soit le jour ou l'heure, on ne pouvait imaginer, à voir la foule déambuler, qu'une épidémie potentiellement mortelle faisait rage! Ce que disent certains observateurs "sérieux" ainsi qu'une agence dont j'ai oublié le nom mais qui est aussi reconnue pour son "sérieux", et aussi l'OMS, c'est que le Vietnam a su tirer les leçons du SRAS et a opté rapidement pour des mesures qui avaient fait leur preuve (port du masque, lavage des mains, mise en quarantaine immédiate quand des cas sont avérés mais également en cas de suspicion, tests réitérés plusieurs fois pour s'assurer que les personnes sont réellement guéries avant de lever la quarantaine ou de les laisser sortir de l'hôpital, etc.). maintenant, que les chiffres annoncés ne reflètent pas exactement la réalité ... Et s'agissant de communication et d'information officielle, ce que nous pouvons malheureusement constater aujourd'hui, c'est que nous devons effectivement garder un regard critique, que ces informations proviennent d'un gouvernement autoritaire, ou pas. <br /> <br /> Michèle C.
Répondre
A
Ce que vous écrivez à propos de votre amie vietnamienne m'a beaucoup intéressée. Il s'agit d'un témoignage individuel, déjà daté, cependant il permet un regard plus critique sur la version servie dans des médias - dont certains "sérieux" - que je trouve très complaisants ou naïfs vis à vis d'un Vietnam qui aurait merveilleusement échappé à l'épidémie. On devrait pourtant être avertis de ce qu'est le régime vietnamien, et de son contrôle des informations ...
Répondre
Vivre confinés
  • Blog à vocation temporaire créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir vos témoignages au jour le jour en ce temps du "vivre confinés". http://autobiographie.sitapa.org
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Comment contribuer à ce blog

Adresser votre texte (saisi en word, sans mise en page, en PJ à votre mail) à l'adresse :

apablog@yahoo.com

- Envoyez si possible une image (séparément du texte)

- Précisez sous quel nom d'auteur il doit être publié

- Il est préférable que le texte ne soit pas trop long... pour en rendre la lecture plus aisée

L'activité de ce blog a pris fin le 1er juin 2020. Il reste néanmoins disponible à la consultation.

Newsletter
Archives
Vivre confinés
Publicité