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Vivre confinés
30 mars 2020

Chronique confinée 2

par Peka


27 mars 2020

Confinement jour 11. Durant la nuit dernière, myriade d’idées qui m’ont traversé l’esprit sans qu’il ne me reste plus rien de précis à en retenir. Il faut se faire une raison, impossible d’avoir une mémoire totale. Est-ce que ce serait un bien ? Je suis sûr que non. La mémoire est sélective. Ce que je sais encore, c’est que beaucoup de ce qui a occupé mon esprit était en lien avec la situation et traduisait mes inquiétudes.

Hier soir JDS. a passé du temps pour faire une commande de provisions et trouver un créneau horaire de livraison. Elle y est parvenue difficilement et s’étonnait ensuite de s’être sentie presque frustrée à l’idée de ne pas y parvenir, alors que nous avons largement de quoi tenir encore deux semaines. On comprend à cette réaction, celle des gens qui se précipitent sur les rayons de pâtes, de pain, de couches bébé et de papier toilette, ce qui est troublant. Ce n’est pas tant le manque qui effraie que l’idée du manque.

Deux semaines ! C’est la prolongation minimum qu’a annoncée Édouard Philippe aujourd’hui. On sent que le pouvoir prend des pincettes pour ne pas prendre le risque de réactions brutales.

JDS. ne veut pas regarder les infos à la télé, les entendre à la radio. Cela ne m’empêche pas d’être informé, mais je suis un peu en manque d’images.

J’ai terminé la relecture du Journal intime de Philippe Lejeune et Catherine Bogaert. J’ai noté quelques titres que je projette d’acheter dès que je le pourrai. Il y a là quelque chose d’absurde alors qu’un livre m’attend à la FNAC Forum et un autre à L’instant lire. Combien de librairies ne se remettront pas d’une aussi longue fermeture ? L’instant lire a rouvert sous ce nom, il y a moins d’un an. Un deuxième dépôt de bilan après celui de Philippe Honoré, ce serait sans doute une fermeture irrémédiable. J’ai besoin des librairies, particulièrement des librairies indépendantes.

Aujourd’hui j’ai envoyé la version Chronique confinée des pages de mon journal de ces derniers jours au blog temporaire de l’APA Vivre confinés. Retour sympathique d’Élizabeth Legros-Chapuis qui gère ce blog. Comme j’avais fait mention de ma lecture de Roger Vailland, elle m’apprend son vif intérêt pour lui et l’existence d’un site consacré à l’écrivain dont elle est la cofondatrice.

Dans sa République des livres, Pierre Assouline recommande de ne surtout pas écrire durant la période de confinement. Élitisme plein de superbe qui ramène au mépris pour les écritures de soi. J’apprécie les biographies de Pierre Assouline que j’ai lues et je tiens l’homme pour un intellectuel cultivé et curieux, mais son goût de la polémique m’agace et il manifeste un orgueil apparent qui ne l’honore pas. L’ensemble des textes qui relatent cette catastrophe forme un corpus tout aussi riche et légitime que peut l’être celui des soldats de la guerre de 14-18 ou des récits de voyage.

En fin d’après-midi, JDS. a reçu un appel de sa responsable. Elle est au chômage technique à partir de mardi prochain. Inquiétude. Tout cela commence à trop durer. Mon exaspération revient avec force.

28 mars 2020

Confinement jour 12.

Réveillé à 6 h 30, je gamberge jusqu’à 7 h après avoir rêvé que je m’étais fait voler ma Carte bleue et l’argent liquide dans une pochette. Deuxième nuit qui me laisse avec des rêves, moi qui n’en a jamais la mémoire.

Dans la nuit le réveil projette les chiffres de l’heure au plafond de la chambre. Marque rouge de temps comme un égrènement sanglant qui nous menace. Sur le blog de l’APA, une personne, Catherine L., contribue avec une « lettre ouverte au virus ». Elle lui écrit comme à une personne, l’insulte. Une personne ? Je le ressens comme un monstre puissant qui rôde impunément, menace, choisit ses proies, sorte de Golem hostile et invisible, qui nous signifie notre inanité, notre petitesse. Nos vanités n’y peuvent rien.

Des gens connus sont atteints. Il y a quelques jours, c’était Manu Dibango qui s’éteignait à 86 ans, victime du virus. Fin d’un parcours souriant, chaleureux et créatif. Dibango c’était beaucoup plus que le standard Soul Makossa qui lui a assuré une renommée mondiale. C’est ici l’exemple du succès d’un titre qui cache une vie en musique de compositeur, d’accompagnateur, de chef d’orchestre, d’arrangeur. Une vie accomplie.

Hier c’était Boris Johnson, le Premier ministre anglais qui était déclaré positif. Il ne mérite sans doute pas plus que quiconque d’être malade, mais cette annonce, si elle ne me réjouit pas, ne m’attriste pas non plus. L’homme est un politique retors et opportuniste, usant d’une posture de bouffon souvent. Un politique tel que je ne les aime pas. Il a voulu méconnaître les risques de l’épidémie dans un premier temps, il en paye personnellement le prix et quelque part, je ne peux m’empêcher de penser que c’est bien fait !

Ce matin je lisais sur WhatsApp les inquiétudes de FR. pour R. et JN. Cette dernière est très exposée par sa profession d’infirmière, en contact avec des malades contaminés. Retour à la peur.

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J’ai commencé à lire La panthère des neiges de Sylvain Tesson. Tesson, je le lis depuis une quinzaine d’années quand il publia son Petit traité sur l’immensité du monde et il est un grand écrivain, n’en déplaise à ceux qui n’aiment pas sa misanthropie, son ironie mordante et son rejet de la modernité destructrice. L’homme a mis des rondeurs à son orgueil, son grave accident de 2014 n’a pas eu seulement des conséquences sur son physique, il l’a ramené à une humanité plus humble, là où il n’était qu’un homme pressé, n’hésitant pas à vivre d’excès. Un grand écrivain, oui ! C’est ce que je me disais en lisant les premières pages de sa Panthère des neiges. Je pense à ce que disait Zola de sa propre écriture et qui est cité dans l’article Wikipédia : « J’entends le rythme de la phrase […] je ne prépare pas la phrase toute faite ; je me jette en elle comme on se jette à l’eau, je ne crains pas la phrase ; en face d’elle je suis brave, je fonds sur la phrase, j’attaque la phrase, laissant à l’euphonie le soin de l’achever. » Cette euphonie je la retrouve chez Tesson, si différent soit son univers de celui de Zola. Il est de ces auteurs qui ont une immense culture et qui savent la faire oublier. Certains se sont étonnés qu’il ait obtenu le Renaudot à l’automne dernier. Foin des rumeurs et des coteries parisiennes ! Ce qui est certain, c’est que ce livre se lit comme un roman. Son récit d’expédition avec Vincent Munier et leurs compagnons est une véritable aventure qui a un début, des épisodes et une fin. Et jamais il ne se perd dans des amphigouris de mauvaise philosophie, sa réflexion quand elle apparaît, s’entrelace avec les faits, avec un cheminement.

Il y a toujours, chez Tesson, un rapport prégnant à la nature. Ses descriptions de paysages, des animaux me reconduisent à des épisodes de mon existence où j’ai été au sein d’une véritable nature. Rien de comparable évidemment avec la longueur, la durée, l’intensité de ses voyages. Mais quelques instants rares de ma vie qui m’ont rapproché de l’intemporel et de l’infini. Ce fut au Port de l’Hers en Ariège où se promenaient les chevaux de Mérens, quand il n’y avait plus que la montagne. Ce fut sur ce lieu unique pour moi qu’est le causse Méjean où je rêve de séjourner encore, lieu où renaissent les immémoriaux chevaux de Przewalski. Ce fut cette randonnée avec BT. dans la forêt martiniquaise, sur un sentier entre l’Anse Couleuvre et Grand Rivière quand les bambous claquaient autour de nous sous l’effet du vent et que les bords du chemin laissaient deviner le glissement des serpents mystérieux. Ce furent des voyages, des balades au gré de séjours de vacances dans la Drôme, dans le Queyras, en Bourgogne ou sur Belle-Île. J’en oublie certainement.

JL. m’a envoyé quatre nouveaux dessins après le Don Quichotte d’avant-hier, pour que j’écrive en regard. Déjà des idées. JL. s’impatiente de ma lenteur à écrire, je lui réponds de savoir attendre, que je ne sais pas écrire sur commande, que j’ai besoin d’une lente maturation pour avancer, j’ai besoin d’aller entre mes chantiers pour laisser reposer les uns tandis que je réactive les autres, pour y puiser des idées qui les nourrissent réciproquement.

« À 14 h, elle a viol ! ». La phrase claque ! Elle veut faire de l’effet et elle y parvient. Dans La consolation, Flavie Flament fait le récit de son agression par le photographe David Hamilton alors qu’elle avait 13 ans. Elle raconte comment cet événement est resté enfoui très longtemps avant de ressurgir de façon traumatisante. Depuis elle a entrepris de se reconstruire, elle a écrit ce livre qui a fait date pour dénoncer la pédophilie, elle s’est impliquée pour que la loi change de façon à repousser l’âge des victimes avant la prescription des faits. Elle est intervenue dans Le doc stupéfiant, L’enfance mise à nu diffusé sur la 5 que nous avons regardé. Sujet d’actualité même si la situation met nombre de sujets en retrait. Ici c’est le rapport des artistes avec le désir des jeunes corps et leur représentation qui est posé. L’émission est sans ambiguïté, mais laisse le débat ouvert. Ce qui est intolérable aujourd’hui ne l’a pas toujours été et rayer des noms, des œuvres de la culture ne changera rien à l’affaire. Pour ceux qui ont étroitement mêlé leurs pratiques pédophiles à leurs œuvres comme l’ont fait un Hamilton, un Matzneff, je partage l’avis de cette intervenante qui prône de laisser faire le temps pour voir disparaître la mémoire qu’on a de ces œuvres, pour voir passer à la trappe peu à peu ces créateurs pervers.

La violence à laquelle je pense, c’est celle que risque de réveiller le confinement au sein des familles enfermées : violence parentale, violence conjugale, toutes ces tensions exacerbées par une promiscuité permanente. Je mesure quelle chance j’ai de partager les jours de JDS. avec qui les heures s’écoulent entre respect, échanges et tendresse.

29 mars 2020

Confinement jour 13.

Depuis hier soir, il souffle un vent qui fait trembler les volets, qui frappe aux vitres. Changement d’heure. Perte de repères. Comme si le temps se lassait lui aussi de nous attendre et retournait à ses méchants travers.

Sans le dire à JDS., je m’informe de l’évolution de la maladie en France et dans le monde. C’est sur le « live » du Monde, c’est une carte interactive sur un site américain (je mesure encore ce dont ma non-connaissance de l’anglais me prive). Même lorsque j’ai peur, je sais que je dois la dépasser. Non pas par inconscience ou par vanité bravache, seulement parce que si la peur est utile, elle n’empêche pas le danger.

J’ai presque terminé le Tesson. Page 146, j’y trouve son Credo que je ferais mien sans hésiter : « Vénérer ce qui se tient devant nous. Ne rien attendre. Se souvenir beaucoup. Se garder des espérances, fumées au-dessus des ruines. Jouir de ce qui s’offre. Chercher les symboles et croire la poésie plus solide que la foi. Se contenter du monde. Lutter pour qu’il demeure. »

Quel que soit son talent, parfois Tesson se paye de mots et je crois qu’il est le premier à ne pas en être dupe, à pouvoir se moquer de lui-même.

J’aime son rapport à la nature, mais c’est celui d’un trublion intellectuel. Il ne cesse de passer par le filtre de sa culture, des références livresques, d’un savoir solidement établi. Par un esprit d’escalier que je ne peux m’expliquer, en le lisant, j’en suis venu à penser à Marcelle Delpastre. Elle était, elle, de ce qu’on appelle les écrivains paysans et si, à l’instar de Tesson, elle avait un solide humour et une profonde culture, son rapport à la terre n’était pas le même.

Je m’aperçois en l’évoquant que cela réveille en moi quelques frustrations quand je ne peux aussitôt me plonger dans ses livres comme j’aime le faire. J’ai des livres ici, j’ai la bibliothèque de JDS. qui est riche aussi, j’ai les ressources d’Internet. Mais rien ne peut remplacer l’accès à mes milliers de livres, à ce corpus constitué au fil des ans et qui fait partie de ce que je suis.

J’ai eu AT. Au téléphone durant une demi-heure. Je suis heureux de l’entendre me raconter leur vie et ses points de vue sur l’existence. Nous n’avons pas du tout le même caractère, mais je me sens proche de lui. Hier, c’était l’anniversaire d’AU. Je lui ai envoyé un message pour lui dire l’affection que j’ai pour elle. Saura-t-elle me tutoyer un jour ?

 

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